La pièce de Solitude Unie

Deux thèmes s’entrelacent dans cette pièce. Le premier, tiré de Différence, est le conditionnement de la société, société dans laquelle chacun sait, mais ne parlera jamais ; société dans laquelle on existe en étant autre pour être pareil à tous et dans laquelle nous ne pouvons exprimer un mal-être, qui en est pourtant son fruit, société qui façonne des corps et non des âmes et dans laquelle nous apprenons à communiquer avec les autres en faisant appel soit à la partie enfant de nous même soit à la partie adulte, jamais les deux à la fois.

“L’expatrié découvre de façon consciente (et parfois douloureuse) un certain nombre de réalités qui façonnent, le plus souvent à notre insu, la condition humaine.”


Nancy Huston, Nord perdu


La pièce met en scène l’image d’une masse intolérante face à un corps libre qui ne vit qu’à travers ses émotions et son ressenti. Envieuse et à la fois haineuse de cette liberté qu’elle n’a plus, la société s’évertue à convertir cet électron libre par le biais de la tentation. Par lassitude de la solitude cet être vendra-t-il son âme…


“On n’est libre que lorsqu’on a envie de rien, et un être parfaitement libre n’aurait envie de rien. (…) Vouloir quelque chose c’est être enchaîné à son désir.”


Boris Vian, L’arrache-cœur


Mais cette masse aux apparences homogène est trompeuse. Elle s’articule autour de quatre danseurs, formant deux couples, chacun composé d’un danseur hip-hop et d’une danseuse plus axée sur l’énergie de la danse contemporaine. Tous les danseurs sont, tour à tour, attirés par la part qui leur manque, cette énergie inconnue, cette nouveauté qui se présente à eux, et que l’autre possède.


« Je ne parle pas de différences physiques, de culture ou de goût, mais de la différence qui fait que nous sommes tous quelqu’un d’autre à l’instant même où nous venons au monde. La danse permet par l’énergie, la gestuelle, et la perception de l’espace d’interchanger les variables à l’infini. C’est cela qui me plaît, opposer des corps aux sensations forcément différentes, et observer les multiples évolutions possibles. »


Les deux duos progressent sur les mêmes musiques et jouent le même thème, celui de cette attirance de l’autre, celui de la différence, mais par leur identité unique, ils vont vivre des histoires toutes autres. Progressivement ces duos se composent, se dé-composent, s’opposent, se métamorphosent. Ils échangent par le mouvement, se transforment gestuellement, mais quand sait-on vraiment que l’autre a basculé dans une sphère qui n’est plus la sienne ?


« Nous acceptons mal la différence, elle nous intrigue, mais nous fait peur. Elle nous attire et nous fait fuir. » C’est ce jeu ambivalent que la chorégraphe cherche à mettre en scène dans cette pièce, car c’est cette ambivalence qui amène diverses approches et conclusions selon l’individu qui s’y prête.


Le résultat parle de lui-même : quatre danseurs, quatre chorégraphies ; deux duos, deux rencontres. Et si nous mélangions les danseurs ? Tout serait encore différent. « C’est une pièce particulière, j’ai demandé aux danseurs de participer au travail chorégraphique, afin que l’impulsion de leurs gestes leur ressemble, leur parle. Je voulais que cette pièce soit leur, afin d’être vraie et non créée, puis interpréter dans le seul but de défendre un thème qui me tient à cœur. »


La chorégraphe cherche avec ce spectacle à faire réagir. Il illustre les rôles que l’on vit tous les jours et derrière lesquels il est aisé de se cacher. Ceux qui oublient l’inessentiel et l’essentiel, l’insignifiant et le trop signifiant, le banal et l’intolérable. « L’électron libre oublie les limitations du réel et semble libre dans ses désirs. Mais cette abstraction provoque le fossé qui éloigne notre esprit de notre corps, tout comme la masse oubliant le vertige de l’imaginaire. »


Marie Bossert ne leur demande donc pas seulement d’être danseurs ; elle leur demande avant tout d’être eux-mêmes et de réussir à en transmettre une partie dans chacun de leurs gestes, afin que chacun ait une reconnaissance des autres en soi et de soi dans les autres.


Cette pièce n’est que l’alliance des énergies des personnes qui composent la troupe. « Nous venons tous d’horizons très différents et la confrontation des styles et des énergies que nous véhiculons est importante à prendre en compte, afin de saisir ce qui nous habite les uns et les autres. Chacun a une place personnelle, tout en formant un ensemble dans lequel l’énergie circule et nous alimente. »


Les réactions gestuelles face aux différents thèmes abordés sont personnelles et riches d’indices sur les multiples facettes qui les composent. En somme l’émotion fait partie de chacun, mais est trop souvent oubliée ou laissée pour compte, et dans cette création, les danseurs cherchent à la faire passer dans leurs gestes afin de la transmettre aux autres.


Cette pièce a une durée approximative de 75 minutes.

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